Dimension

Vignette écrite par Christiane Rousseau.
Comment mesurer la taille d’un objet géométrique ? Pour décrire des sous-ensembles du plan, nous utilisons couramment les mots de périmètre, de longueur, d’aire, de diamètre, etc. Mais ils ne suffisent pas lorsqu’on veut décrire les fractales. Les objets fractals sont des objets géométriques très complexes et nous devons trouver un moyen de quantifier leur complexité. C’est dans ce but que les mathématiciens ont introduit le concept de dimension. La dimension permet de mesurer la complexité d’une fractale. Cette notion de dimension est une généralisation et une formalisation de notre notion intuitive de dimension, lorsque nous parlons de dimension 1, 2 ou 3. Nous allons parler de plusieurs moyens de décrire les objets fractals, en examinant deux exemples : le triangle de Sierpinski et le flocon de von Koch (voir figure ci-contre).

1.Quelle est l’aire du triangle de Sierpinski ?

Tout d’abord, examinons comment est construit le triangle de Sierpinski (voir figure 2) : il est le résultat d’un processus itératif. On part d’un triangle que l’on partage en 4 triangles en joignant les milieux des côtés, et on supprime le triangle central. Il nous reste trois triangles ; dans chacun d’eux, on réitère l’opération et on supprime le triangle central, et ainsi de suite.

a) le triangle initial              b) la première itération         c) la deuxième itération

Figure 2 : Le processus d’itération pour construire le triangle de Sierpinski

Nous disposons maintenant de tous les ingrédients pour calculer l’aire du triangle de Sierpinski. Supposons que l’aire du triangle initial soit A (voir figure 2a).

  • À la première itération, on supprime un quart de l’aire A et il nous reste l’aire A_1=\frac{3A}{4}.
  • À la deuxième itération, on supprime un quart de l’aire des trois triangles A_1 . L’aire restante est donc : A_2= \frac34 A_1=\left(\frac34\right)^2A.
  • À la troisième itération, nous supprimons un quart de l’aire des neuf triangles A_2 . L’aire restante est donc : A_3= \frac34 A_2=\left(\frac34\right)^3A.
  • À la n-ième itération on supprime un quart de l’aire des 3^{n-1} triangles A_{n-1}. L’aire restante est donc A_n= \frac34 A_{n-1}=\left(\frac34\right)^nA.

Puisque

    \[\lim_{n\to \infty}\left(\frac34\right)^n=0,\]

nous pouvons conclure que l’aire du triangle de Sierpinski est égale à zéro !

2.Quelle est la longueur du flocon de von Koch ?

Le flocon de von Koch s’obtient lui aussi par itération. À chaque étape de l’itération, on remplace un segment par un ensemble de 4 segments, chacun de longueur le tiers de celle du segment de départ (voir la figure 3). Si le triangle d’origine dans la figure 3(a) a ses cotés de longueur L, alors l’étoile de la figure 3(b) a pour périmètre \frac43L, et l’objet de la figure 3(c) a pour périmètre \left(\frac43\right)^2L. Et ainsi de suite. Autrement dit, à chaque étape, le périmètre est multiplié par \frac43. Puisque la construction comporte une infinité d’étapes, le périmètre du flocon de von Koch est infini !

a) triangle initial                b) première itération              c) deuxième itération

Figure 3 : Le Flocon de von Koch, et le processus itératif de sa construction

3.Dimension d’une fractale

Le triangle de Sierpinski est un objet très compliqué. Pourtant, sa superficie est nulle et donc nous donne peu de renseignement sur cet objet. Le fait que le flocon de von Koch ait une longueur infinie nous dit bien que c’est un objet complexe, mais sans plus de précision. Pour pouvoir apporter davantage d’information sur les fractales, les mathématiciens ont introduit le concept de dimension.

Comment un mathématicien définit-il la dimension ?

Commençons par notre idée intuitive de dimension. Intuitivement, les courbes sont de dimension 1, les surfaces de dimension 2, et les volumes de dimension 3. Donc, nous devons énoncer une définition mathématique qui donne 1 pour les courbes, 2 pour les surfaces, et 3 pour les volumes. Nous nous limiterons ici aux dimensions 1 et 2. Nous allons recouvrir un objet géométrique du plan avec des petits carrés. (Si nous voulions définir la dimension 3, nous utiliserions des petits cubes, mais nous pourrions utiliser aussi des petits cubes pour les courbes et les surfaces sans modifier leur dimension !)

Cas d’une courbe. (voir Figure 4)

  • Si nous divisons par deux les côtés des carrés utilisés, il nous faudra à peu près deux fois plus de carrés pour recouvrir l’objet ;
  • Si nous divisons par trois les côtés des carrés utilisés, il nous faudra à peu près trois fois plus de carrés pour recouvrir l’objet ;
  • Si nous prenons des carrés de côté divisé par n, nous utiliserons à peu près n fois plus de carrés pour recouvrir l’objet;

(a)                                                               (b)

Figure 4 : calcul de la dimension d’une courbe en utilisant des carrés de différentes tailles

Cas d’une surface. (see Figure 5)

  • Si nous prenons des carrés de côté divisé par deux, nous utiliserons à peu près quatre fois plus de carrés pour recouvrir l’objet ;
  • Si nous prenons des carrés de côté divisé par trois, nous utiliserons à peu près neuf fois plus de carrés pour recouvrir l’objet ;
  • Si nous prenons des carrés de côté divisé par n, nous utiliserons à peu près n^2 fois plus de carrés pour recouvrir l’objet ;

(a)                                                              (b)

Figure 5 : calcul de la dimension d’une surface en utilisant des carrés de différentes tailles

Nous pouvons maintenant donner une définition (intuitive) de la dimension :

Définition. Un objet du plan est de dimension d si, lorsque nous prenons des carrés de cotés n fois plus petits, nous avons besoin d’environ n^d fois plus de carrés pour le faire.

Quelques remarques sur notre définition.

  1. Bien sûr, les carrés utilisés pour recouvrir l’objet peuvent être inclinés, ils peuvent aussi se chevaucher.
  2. Au lieu de carrés, on pourrait utiliser des rectangles isométriques, de format, longueur sur largeur, fixé à r>1. On obtiendrait les mêmes résultats pour les dimensions 1 et 2, et c’est vrai aussi dans le cas général des sous-ensembles du plan. Pour calculer la dimension du flocon de von Koch, il est plus facile d’utiliser des rectangles que des carrés.
  3. La notion de dimension donnée ci-dessus porte dans la littérature le nom de dimension de boîte, ou encore dimension de comptage. Ce n’est qu’une définition de la dimension parmi une pléiade d’autres définitions. Toutes donnent 1 pour les courbes lisses, 2 pour les surfaces lisses, et 3 pour les volumes. Elles donnent les mêmes résultats pour les fractales auto-similaires, mais peuvent donner des résultats différents pour des ensembles complexes mais non auto-similaires.
  4. Tous les objets géométriques n’ont pas nécessairement une dimension de boîte. Mais les objets auto-similaires ont une dimension qui, la plupart du temps, n’est pas un nombre entier.

La définition peut être généralisée aux objets géométriques qui sont des sous-ensembles de \mathbb{R}^m et le résultat est indépendant du m considéré!

Définition 2. Un sous ensemble de \mathbb{R}^m est de dimension d si, lorsque nous prenons des hypercubes de dimension m de coté n fois plus petits, nous avons besoin d’environ n^d fois plus d’hypercubes pour le faire.

(a)                          (b) 1                         (c) 3                         (d) 9                         (e) 27

Figure 6 : nombre de carrés recouvrant le triangle de Sierpinski tracé en (a)

Calculons maintenant la dimension du triangle de Sierpinski (voir Figure 6).

  • Soit un carré dont le côté est égal à la base du triangle. Il recouvre le triangle de Sierpinski de la figure 6(b).
  • Si nous divisons par 2 le côté des carrés, il nous faut 3 carrés pour le recouvrir. Remarquons que 3=2^{\frac{\ln 3}{\ln{2}}} (Figure 6(c)).
  • Si nous divisons par 4 le côté des carrés, il nous faut 9 carrés pour le recouvrir. Remarquons que 9=4^{\frac{\ln 3}{\ln{2}}} (Figure 6(d)).
  • Si nous divisons par 8 le côté des carrés, il nous faut 27 carrés pour le recouvrir. Remarquons que 27=8^{\frac{\ln 3}{\ln{2}}} (Figure 6(e)).

Il est donc facile de conclure que la dimension du triangle de Sierpinski de la figure 6(a) est d=\frac{\ln 3}{\ln 2}\sim 1.585.

On affirme maintenant que la dimension du flocon de von Koch flake de la Figure 1(b) est \frac{\ln 4}{\ln 3} \sim 1.26. Pourquoi? Si nous tentons de le recouvrir avec des carrés de côtés de longueurs égales à celles des segments des figures successives de la figure 3, on se trouve en difficulté parce que certains carrés couvrent un seul côté, alors que d’autres en couvrent deux lorsqu’ils forment une pointe. Utilisons alors l’astuce de notre remarque 2, et servons-nous de rectangles dont la longueur vaut trois fois la largeur.

Figure 7 : calcul de la dimension du flocon de von Koch en utilisant des rectangles

a) avec 3 rectangles                                                 b) avec 12 rectangles

Figure 7 : calcul de la dimension du flocon de von Koch en utilisant des rectangles

Nous donnons ici les étapes principales de l’argumentation et laissons le lecteur compléter les détails. A chaque itération, nous avons besoin d’autant de rectangles qu’il y a de côtés, en choisissant des rectangles de même longueur que les côtés. Si nous plaçons ces rectangles vers l’extérieur du flocon, ils vont recouvrir les segments produits par les itérations suivantes comme sur la figure 7. Il est facile de vérifier qu’il faut autant de rectangles que de côtés. Le triangle de départ a 3 côtés. À chaque itération on multiplie le nombre de côtés par 4 et donc, on multiplie le nombre de rectangles par  4. En même temps, on utilise des rectangles de côtés trois fois plus petits. Comme 4= 3^{\frac{\ln 4}{\ln 3}}, on conclut que la dimension du flocon de von Koch est égale à \frac{\ln 4}{\ln 3}.

La dimension donne une « mesure » de la complexité ou de la densité d’un fractal. En effet, nous sentons bien que le triangle de Sierpinski est plus dense que le flocon de von Koch, qui ressemble davantage à une courbe « épaissie ». Ce qui est confirmé par le fait que \frac{\ln 3}{\ln 2} > \frac{\ln 4}{\ln 3}.

Applications

Le réseau capillaire au voisinage d’une tumeur. Il n’est pas le même qu’ailleurs dans l’organisme. Des recherches sont effectuées à ce sujet, et en particulier sur la dimension fractale de ce réseau, dans le but d’améliorer le diagnostic établi à partir de l’imagerie médicale.

Le dessin de l’arbre bronchique. Les athlètes de haut niveau souffrent davantage d’asthme que le reste de la population. Pourquoi ? L’article [1] étudie le poumon optimal. Il existe 17 niveaux de tubes bronchiques avant d’arriver aux bronchioles terminales, suivies des acini pulmonaires impliqués dans les échanges gazeux. Si les tubes bronchiques sont trop fins, la pression augmente lorsque l’air pénètre au niveau suivant de bronchiole. Mais s’ils sont trop larges, de sorte que le volume reste le même à chaque niveau, le volume devient trop grand (il deviendrait infini s’il y avait un nombre infini de niveaux). Ainsi, le poumon « optimal » doit avoir le volume minimum permettant de ne pas augmenter la pression. Mais quand on se rapproche du poumon optimal, une petite diminution du diamètre des bronchioles provoque une bien plus grande augmentation de la pression que ne le ferait la même diminution dans des tubes bronchiques plus larges (cela provient de la spécificité de la fonction non linéaire donnant la pression.) Les poumons humains ont des bronches plus larges et un volume plus grand que le poumon optimal théorique. Cette marge de sécurité apporte une protection en cas de bronchoconstriction, pathologie réduisant le diamètre des bronches et qui peut être causée par l’asthme. Les athlètes ont des poumons en général plus proches du poumon optimal théorique, et sont donc plus vulnérables.

L’intestin grêle. La surface externe de l’intestin grêle est d’environ 0.5 \;\rm{m}^2, alors que la surface interne est d’environ 300\;\rm{m}^2. Nous avons vu, avec le Flocon de von Koch, qu’une courbe fractale peut avoir une longueur infinie tout en occupant une surface finie. Nous pouvons de même concevoir aisément qu’une surface fractale occupant un volume fini peut avoir une aire infinie. On retrouve cette astuce dans la nature : l’aire de la surface interne de l’intestin grêle doit être très grande afin de maximiser l’absorption intestinale. La nature fractale de cette surface remplit cet objectif. C’est vrai aussi de la surface des alvéoles qui terminent les bronchioles dans les poumons : comme l’arbre bronchique est de nature fractale, la surface des alvéoles est très grande, ce qui maximise les échanges gazeux.

Bibliography

[Ma] B. Mauroy, M. Filoche, E.R. Weibel, B. ~Sapoval, An optimal bronchial tree may be dangerous, Nature, 427 (2004), 633–636.

Ce post est disponible en: Anglais, Allemand, Italien, Espagnol, Arabe, Khmère

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